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Les briqueteries

Considérations historiques

Commune d'Amay, village d'Ombret

François bonnechère
23/06/2014

Remerciements
Sans la mise à disposition d'archives privées des maîtres briquetiers Thirion le présent document n'aurait pas pu être écrit. Je remercie chaleureusement Monsieur André Thirion qui m'a consacré de nombreuses heures en discussions et révision du texte.
Monsieur Jacques Piret a grandement collaboré à la bonne rédaction du texte, je lui exprime toute ma reconnaissance.
Merci à mon épouse qui m'a laissé assouvir une nouvelle passion.
François Bonnechère

Briqueteries

Note liminaire

Les archives de l'Administration communale d'Ombret-Rausa, déposées aux "Archives de l'Etat" à Liège, témoignent de l'établissement de briqueteries à Ombret et à Rausa. Ces documents administratifs sont malheureusement très incomplets mais ils permettent néanmoins de lever un voile sur les dispositions administratives relatives à la fabrication des briques. Le chapitre "Briqueteries d'Ombret" est principalement basé sur les données des archives.

Le chapitre suivant est basé sur des archives de la famille de briquetiers  Thirion. Elles permettent de lever un coin particulier du voile sur l'organisation et le suivi de campagnes de  briquetiers. Il existe des liens entre Ombret et les Thirion, notamment par apparentement avec la famille des meuniers Mouton et aussi par la fréquentation de l'école communale d'Ombret par Lambert, André et Michel.

Le troisième chapitre illustre, par des photos, récentes la fabrication des briques cuites en meules. Il évoque aussi l'évolution des techniques jusqu'à la mécanisation automatique actuelle.

Les maîtres briquetiers étaient nombreux dans la région et de réputation européenne. Ils ouvraient des chantiers un peu partout en Europe. Eux-mêmes ou leurs chefs de brigades migraient avec des dizaines de briquetiers d'avril à octobre. De petites équipes allaient, pendant la période hivernale, préparer de la terre, car celle-ci devait être ameublie et humidifiée pour obtenir une structure souple avant l'arrivée des briquetiers mouleurs de briques. Les briquetiers cuiseurs (ou brûleurs) arrivaient quand les briques crues étaient séchées et donc prêtes à être mises en meules (ou fours). Ils disposaient méthodiquement les briques et le charbon pour constituer les fours (meules) qui allaient leur permettre de cuire les briques crues (adobes) pour obtenir des briques convenablement cuites. Ils revenaient plus tard que les brigades de mouleurs, quand la dernière meule refroidissait

Certains ouvriers travaillaient dans des briqueteries fixes en France pour des firmes locales.

La main-d'oeuvre étrangère participait à la vie de la « briquante ». « Au début, c'était des Belges. Les Italiens et les Polonais sont venus dans les années trente. Vers la fin, c'était au tour des Portugais et des Algériens ». Référence : Le Parisien du 18 mai 2014; Chevilly ou l'âge d'or de la brique.

L'histoire des  briquetiers a été largement développée ces dernières décennies à Amay par des passionnés.

1." Les briquetiers, des Amaytois méconnus". Un regard sur le passé local, les briquetiers. Publication à l'initiative du Syndicat d'Initiative d'Amay non datées auteurs Nestor Torreborre et al.

2. "La petite et la grande histoire industrielle d'Amay" publication non datée (~2013), éditée par Entr'Âges.

Une documentation existe à Infor'Ama. Le musée des Maîtres du Feu à Ampsin y consacre un espace. Des visites guidées ont été orchestrées. Diverses manifestations ont été organisées.
Mon intention n'est nullement de refaire l'histoire, je n'en ai d'ailleurs aucunement les compétences. Je crois cependant utile d'apporter une brique qui pourrait être maçonnée dans un édifice plus exhaustif.

Briqueteries d'Ombret

Introduction

Jusqu'à la première guerre mondiale, les habitations sont principalement édifiées en pierres ou en briques, les annexes parfois en bois, les constructions industrielles ont souvent une structure portante métallique ou en béton armé remplie de briques.

Les carrières, souvent petites, s'ouvrent le plus près possible des bâtiments à élever. Les pierres sont acheminées  dans des tombereaux tirés par des chevaux ou même par des hommes, des femmes et des enfants. Il apparaît donc important de réduire les distances de transport, sur les chemins non revêtus.

Les maisons en pierres d'Ombret sont construites avec des grès extraits principalement dans le Fond d'Oxhe.

 

 
Anciennes carrières de grès du Fond d'Oxhe

Les briques sont fabriquées sur place ou dans des briqueteries situées à proximité. Les terrains situés entre la route de Huy et Ramet (= Grand'Route) et les berges de la Meuse, alors encore naturelles, aux lieux-dits Ry de Mer et Rivage ont fait l'objet de plusieurs demandes de briquetiers, notamment d'Adrien Collinet d'Ampsin, de Pierre-Joseph Poleur et de Hubert Delcominette d'Amay qui y ont travaillé pendant plusieurs campagnes. A Rausa, une demande a été introduite par Jules Terwagne.

Une autorisation est requise, elle est délivrée par le Collège des Bourgmestre et Echevins après enquête commodo et incommodo. Les impositions sont très contraignantes et l'autorisation révocable immédiatement si constatation du non respect d'une des clauses imposées.

Certains citoyens furent rappelés à l'ordre, soit qu'ils fabriquaient sans autorisation (document 1), soit qu'ils creusaient en débordant 'quelque peu' chez le voisin (document 2).

Origine des documents photographiés, de ce chapitre : Archives de l'Etat


Document 1 : Double infraction "vol de terre" et briqueterie non-autorisée


Document 2 : Mêmes infractions

Les impositions des autorisations portent principalement sur:

  • les conditions de stabilité des excavations et de réaménagement du site,
(Sans doute que les zones inondables au Ry de Mer ont été crées par les prélèvements des terres à briques.)
 
  • les conditions sanitaires des ouvriers, souvent logés sur le site, (bâtiments en dur, chambres de 20m³/briquetier et 2,50m de hauteur minimum, cheminée à bon tirage),
  • les conditions pour réduire les désagréments majeurs causés par les fumées, distance de plusieurs décamètres des voiries et des voisins, écrans de protection contre les fumées, interdiction d'utilisation des charbons pyriteux.

(Les charbon pyriteux, charbons gras qui contiennent des sulfures peuvent dégager des émanations nocives et corrosives telles sulfures d'hydrogène, voire acide sulfurique.)

Le document 3 est l'arrêté pris par le Collège communal le 26 mai 1925 autorisant le maçon Alphonse Philippart à fabriquer 85.000 briques pour élever sa maison sise au Ry de Mer.

(N°156 Grand'Route.)

Ce document explicite notamment les préoccupations de bon respect de l'environnement et les conditions sanitaires qui sont, déjà en ce temps, très strictes.

Plusieurs autres autorisations ont été accordées, souvent à des briquetiers d'Amay, soit pour des briqueteries temporaires proches de bâtiments à construire, soit pour des briqueteries à titre plus définitif (autorisation pour 5 ans, renouvelable.


Document 3 : Autorisation temporaire pour un four à briques

Les Maîtres briquetiers Thirion

Je suis très reconnaissant à André Thirion, d'avoir aimablement mis à ma disposition les archives familiales concernant les activités de briquetiers de ses ancêtres.

La famille

Un exemple d'un bel entrepreneuriat familial, est certainement la lignée des Jean, Noel, Arnold, Lambert, ... Thirion. Une esquisse généalogique de la famille est reprise in fine(i) . Le crédit de celle-ci est à attribuer à Maggy Moreau.

La famille exploitait des vignobles rue Chavoie. Comme la plupart des vignerons, elle passait un "bail à rente foncière" nommé aussi "titre nouvel" devant notaire avec de grands propriétaires terriens (tels que Mr le Vicomte Hyppolite Guillaume De Barré de Comogne; le Noble Seigneur Jean Joseph de Namur, Chevalier du Saint Empire, ...).

Le "titre nouvel" est un contrat d'aliénation d'un bien foncier sur lequel le bailleur se réserve le droit de percevoir une partie des revenus sous forme d'une redevance (en nature et ou en numéraire) annuelle et perpétuelle. Le contrat est attaché au fonds et non à son propriétaire. Les obligations contractuelles se transmettaient donc lors des successions ou des ventes du bien. Le preneur ( et ses héritiers et ayant cause) jouit dans les faits des prérogatives  assimilables à celles du propriétaire au sens actuel du terme. Il peut notamment vendre l'usufruit. Ce système assurait au propriétaire terrien un revenu sûr et au preneur l'assurance de pouvoir valoriser le bien tant qu'il pouvait assumer le paiement de sa 'location', lors des mauvaises années de culture.

Le premier document des archives Thirion où apparaît explicitement le nom Thirion est le transfert de rente (dans le cadre d'un 'titre nouvel'), daté du 11 mai 1839, de Gaspard Poël, cultivateur à Cheratte à son frère Arnold Joseph, maréchal ferrant, due par Noël Gaspart Thirion, journalier, représentant par acquet Pierre Dumont. (cf. document 4)

Rente annuelle et perpétuelle de 10,03 francs (= 8 florins 5 soles Brabant-Liège), le montant du transfert est de 210.63 francs.

Un franc de 1839 équivaut à quelque 8.20 € actuel.


Document 4 : Transfert de rente à Noël Gaspart Thirion, le 11 mai 1839

Le 6 juin 1841 est établi le renouvellement d'un "titre nouvel" suite à un décès du vigneron cultivateur Eustache-Joseph Roba, la rente est transmise à Arnold Joseph Thirion, fils de Noël Gaspart. L'objet est une pièce de vignoble située au lieu dit Wéhairon en la commune d'Amay de la contenance d'environ treize ares huit centiares (Trois Verges Grandes) joignant du levant à Jacques Dony, midi à Charles Pire représentant Denoël et couchant à Jean-Joseph Delcominette représentant Halloy.

Ce titre est annoté (cf. document 5) le 14 décembre 1870 : "reçu de Monsieur Arnold Joseph Thirion, marchand d'alun, domicilié à Amay, la somme de trois cent cinquante-quatre francs quarante-sept centimes pour remboursement de la rente reprise au présent titre nouvel arrérages et prorata à ce jour. ....)

Le 4 novembre 1857, un "titre nouvel" (cf. document 6) est annoté le 16 décembre 1870 : "Reçu de Mr Arnold Thyrion (Thirion), maître briquetier demeurant à Amay, représentant Jean Joseph Arnold Bronckart, sommelier .... la somme de 304 francs pour capital d'une rente de vin effractionnée à 12,16 francs par année échéant à la vendange ....". La rente annuelle et perpétuelle était de dix florins Brabant Liège, faisant 12,15 francs représentatifs d'une aime

Une aime, aussi orthographiée aijme, cime ou encore cisme

(ou 172,75 litres) de vin rouge échéant à la vendange chaque année, .... Le bien est deux pièces de vignobles ... réunie en une seule pièce, sise en lieu dit Wéhairon, contenant environ 22 ares joignant vers le nord au chemin Cheravoie (= Chavoie), vers le levant à Louis De Laminne de Liège, vers le sud aux ayant-cause de la famille Dradin et vers le couchant à Isabelle Joséphine Pire épouse Florent Warnant.

Les archives Thirion contiennent aussi un document plus ancien, du 23 octobre 1641, qui est une transaction pour mauvais paiement d'une aijme de vin dans le cadre d'un 'titre nouvel'.

A cette époque, le paiement inadapté de la rente, dans le cas présent, une aime de vin blanc en lieu de vin rouge comme le soutenait le propriétaire (Herman Urzinus), était sévèrement sanctionnée par un emprisonnement (de Catherine veuve de Jean Dizier le jeune), jusqu'à apurement de la dette. Finalement le propriétaire a admis une transaction par payement étalé, mais en gardant la possibilité d'emprisonnement en cas de non payement d'une annuité.

Document 5 : Renouvellement d'un "titre nouvel"

Document 6 : Titre nouvel

Document 7 : Transaction touchant une aijme (aime) de vin pour rente due sur gages

Le premier document où apparaît la qualification de briquetier dans la famille Thirion est le carnet d'ouvrier "brûleur" délivré par la Commune d'Amay à Arnold Thirion (1814 / 1893),  le 12 avril 1834, il était alors âgé de 19 ans (cf. document 8).

Le brûleur (ou cuiseur) avait la responsabilité de la conduite des fours à briques, tâche de grande responsabilité.

Il était, comme annoncé ci-avant, issu d'une famille de vignerons, travaillant aussi comme journaliers, habitant rue Chavoie à Wéhairon. Arnold s'occupait d'ailleurs en sus, entre ses périodes de fabrication de briques, de la vigne familiale. Il est plus que probable que son père Noel Gaspard (1770 / 1840) qui travaillait dans les alunières, fut déjà briquetier, car Arnold Joseph avait acquis une grande expérience dès ses 19 ans pour être qualifié de cuiseur à un âge aussi jeune.

Maggy Moreau a pu remonter jusqu'à Jean Théodore Thirion, un ascendant né au milieu du 17ème siècle, 5 générations avant Arnold. Tous ses antécédents ont trouvé leur épouse dans des familles connues d'Amay ou d'Ampsin : Damitte Hanoul, Marguerite Colin, Ode Kinet, Marie Joseph Dumont et lui-même Anne Marie Badet.

A 20 ans, il commence à 'faire des campagnes de briques'. Son premier exode est à Grand Rechain. Le 18 juin 1834, son employeur Mustin Bouhon certifie qu'il a fait preuve de "bonne conduite et probité"

Le 18 avril 1836, il part dans les environs de Hasselt.

De 1837 à début 1841, il semble être resté à Amay et avoir travaillé comme vigneron, donc en période de fin de vie de son père Noel Gaspard.

En 1841, il fabrique des briques pour la construction du chemin de fer reliant Ans à la vallée de la Meuse.

Dénommé traditionnellement: Plan incliné

Le 15 septembre 1841, son employeur certifie qu'il s'est comporté d'une manière irréprochable.

Le 29 mars 1843, il épouse Anne Marie Badet (1822 / 1852).

Jusqu'en avril 1846, il ne quitte plus Amay.

Du 22 octobre 1846 au 22 janvier 1847, il travaille à la Houillère de Wahairon, sans doute pour Louis de Laminne.

La dernière annotation dans son carnet d'ouvrier est le visa de la Commune d'Amay le 23 novembre 1847 attestant sa sédentarisation.

Sédentarisation bien temporaire car, notamment en 1863, il fabrique 2 millions de briques pour la construction du barrage-éclusé de Maizeret, à l'entière satisfaction des entreprises 'Flechet et Claes' et de l'Administration des Ponts et Chaussées.

La continuation de la saga familiale est assurée par ses dignes descendants.

Le 18 août 1848 nait son fils Lambert Augustin (1848 / 1901) qui  épouse Thérèse Koeningstein (1858 / 1935) en 1878 ou 1879, une belle allemande rencontrée lors d'une campagne de briques.

En 1872, il fait campagne pour la construction des Forges d'Eich à Metz. La relève est donc assurée.

Le 2 septembre 1879 vient au monde son petit-fils Arnold Hubert Adolphe (1879 / 1937)  qui épouse Bertha Delcominette (1880 / 1944) le 9 janvier 1902.

Le 25 août 1910 voit le jour son arrière-petit-fils, Lambert Arnold Joseph Fernand (1910 / 1974) qui se marie avec une hutoise Andrée Ledoux (1913 / 1986) vers 1936.

C'est au cours de sa vie professionnelle que les entreprises Thirion passeront de la brique au béton et entreprendront des travaux industriels  (entre 1925 et 1930). Leur savoir faire s'est rapidement affirmé et des liens commerciaux se sont rapidement établis, comme ce fut le cas pour la fabrication des briques. Ils ont été l'un des entrepreneurs attitrés aux A. N. F. 'Ateliers du Nord de la France à Valenciennes' et à K. S. (Kempse Steenkolenmijnen, Charbonnage de Campine))

Le métier artisanal de briquetiers a été tué par l'industrialisation. La mécanisation de la fabrication des briques est notamment liée au développement des moyens de transport et à l'évolution industrielle.

Cette famille de briquetiers de grande réputation, plus ancienne que la Belgique a dû ainsi progressivement muer en entrepreneurs de travaux industriels.

Outre les campagnes déjà citées, les maîtres briquetiers Thirion ont notamment entrepris la fabrication de briques en Allemagne (notamment pour la construction des usines sidérurgiques Krupp AG à Essen), en Russie (notamment pour l'Industrie Moscovite du Verre à Saint Pétersbourg (en français dans le texte!) (cf. document 9),et pour Solvay en Italie, en Espagne et en France (cf. document 10).

Ils se sont parfois associés avec d'autres maîtres briquetiers tels que Julien Quitis et Jules Terwagne.


Document 8 : Livret d'ouvrier d'Arnold Thirion


Document 9 : Attestation de la Société Moscovite des Industries du Verre à Saint Pétersbourg


Document 10 : Commande de Solvay, usine de Varangéville-Dombasle

 

Les campagnes de Castiglioncello et de Sùria (période de 1913 à 1918)

Introduction

A cette époque, les entreprises Thirion étaient gérées par Arnold (Hubert Adolphe) petit-fils d'Arnold le premier briquetier connu.

En 1913, deux grandes campagnes sont en cours pour la Société Ernest Solvay: l'une en Toscane à Castiglioncello à 25 km au sud de Livourne et l'autre à Sùria en Catalogne à 80 km au NNO de Barcelone.

  • Le stade de Castiglioncello et une rue portent le nom d'Ernest Solvay et l'usine Solvay Chimica Rosignano,  est toujours en activité.

  • A Sùria une longue  rue est nommée Ernest Solvay et l'usine Solvay Quimica SL travaille encore.

Il y a un siècle, l'organisation de telles campagnes nécessitait beaucoup d'initiatives personnelles. Pour échanger l'information on ne pouvait compter principalement que sur le service postal et accessoirement sur quelques télégraphes. Pour voyager, on ne disposait que du train à vapeur et des charrettes hippomobiles.

Préparation des campagnes

Recherche des chantiers et des contrats

Le début d'une 'aventure commençait l'année précédente par la recherche de chantiers potentiels et la signature de contrats.

Mais avant cette signature, il fallait que le maître briquetier se rende sur place pour identifier le meilleur gisement de terre à briques.

Par exemple, quand les frères Ernest et Alfred Solvay vouaient installer une usine, ils disaient Arnold ou à Lambert Thirion, qu'ils souhaitaient installer une usine dans une région donnée et demandaient que ce dernier trouve un lieu proche d'une voie d'eau, d'une route et d'une ligne de chemin de fer où les terres permettaient la fabrication de bonnes briques.

Il partait donc en train sur place en  reconnaissance. Il recherchait quelques journaliers, achetait quelques bèches, pelles escoupes et pioches pour prélever des échantillons qu'il humidifiait, malaxait et même humait et goûtait. Quand il lui semblait que la terre était convenable, il en estimait le volume, s'il n'était pas suffisant il continuait leur prospection un peu plus loin. Puis il devait encore confirmer la qualité par un essai  de cuisson.

Ce n'est qu'après ces tests que le contrat pouvait être établi. Une grande expérience était donc nécessaire pour trouver rapidement la bonne solution tant technique qu'économique.

Il fallait une terre argileuse, mais non pas de l'argile pure qui par le fait de ses grains très petits (Plaquettes de l'ordre du micromètre) est sensible à l'eau ce qui conduit à des retraits importants et à des fissurations lors de la cuisson. Pour éviter cela, il faut que la terre contienne des grains siliceux qui puissent former un squelette rigide qui réduit le retrait. Un sol limoneux convient généralement. Sinon il faut ajouter à l'argile grasse un dégraissant (sable). Les matières calcaires, telles les craies, sont à éviter car, lors de la cuisson, il se forme des inclusions de chaux qui fragilisent les briques vieillissantes. Les matières organiques sont aussi nuisibles car elles perturbent la bonne cohésion des briques.

Un limon (de Hesbaye ou de la vallée de la Meuse) convient généralement car il contient des silts (sables fins).

Quand un bon gisement est trouvé, les tractations commerciales peuvent commencer. 

La lettre du 8 septembre 1913 (cf. document 11) en est un exemple. Après un entretien avec le directeur de Solvay à Bruxelles, Arnold Thirion annonce au directeur de l'usine de Barrida en Espagne (près d'Andore) qu'il peut commencer les préparatifs nécessaires à la fabrication de briques, en l'occurrence 3.000.000 briques en 1914, briques qui seront réalisées par deux brigades.

En février-mars, il faut réaliser la mise en place des chantiers. En effet, dès l'arrivée des brigades en avril (au total à Castiglioncello une centaine d'hommes, soit 10 brigades, 6 belges et 4 italiennes) la confection des briques doit pouvoir commencer immédiatement. La préparation, en période hivernale est réalisée par des ouvriers locaux, soit sous contrôle d'un responsable belge, soit comme dans le cas de Castiglioncello sous la responsabilité de la direction de l'usine. (cf. documents 12 et 13)


Document 11 : Lettre à Alban, directeur de Solvay à Barrida

 

 
Document 12 : Lettre à M. le Directeur de Solvay à Castiglioncello


Document 13 : Lettre à M. le Directeur de Solvay à Castiglioncello

Il faut que, quand les brigades arrivent à Castiglioncello, elles disposent de

  • 100kg de pain, ainsi que de l'eau potable,
  • 10150 kg de paille pour les paillasses des briquetiers, les supports et la protection des haies de briques en phase de séchage,
  • 600 tonnes de charbon,
  • quelque 20.000 m³ de terre de bonne qualité, préparée l'hiver (ce sui représente environs le tiers nécessaire à la production annuelle),
  • sable,
  • logements pour les 6 brigades belges,
  • bâches de protection pour les briques crues,
  • l'aire de travail préparée.

Rassemblement des brigades

Il faut aussi, avant la campagne, contacter des chefs de brigade à qui il incombera de former leurs équipes.

Les briquetiers amaytois étant très sollicités, il est nécessaire d'appeler à la rescousse des ouvriers flamands. Le sol de beaucoup de régions de Flandre convenant très bien à la fabrication de briques, il est assez aisé d'y trouver des personnes adéquates. Pour les campagnes à l'étranger, il peut aussi être fait appel à la main-d'œuvre locale ou même à celle d'un pays tiers.

Le document 14 adressé à un chef de brigade engagé l'année précédente  précise les closes de son contrat éventuel pour un travail en Italie:

  • faire de plus belles briques que l'an dernier,
  • avoir un bon démêler,(en termes actuels:être un bon médiateur)
  • conduire le mortier (terre préparée et prête à être moulée) avec une grande brouette (pour courageux et donc pour obtenir un bon rendement),
  • donc avec un chargeur de table (une rampe pour déverser le mortier directement sur les tables de moulage)
  • être à 8 personnes tranquilles pour ne pas boire et ne pas avoir de Lasselle dans votre brigade. Lasselle étant sans doute un ouvrier qui avait chahuté l'année précédente.
  • faire au moins 1,5 million de briques au prix donné de 5f40 du mille (soit quelque 17 € de 2014),

si toutes les conditions ne sont pas remplies paiement de 5f25 au lieu de 5f40 du mille.

Le document 15 destiné à un briquetier d'Eename (Audenaerde) insiste aussi sur la qualité des briques et promet un prix supplémentaire de 0f10 si elles sont plus belles que celles de l'année précédente.


Document 14 : Lettre au chef de brigade Moreels


Document 15 : Lettre à Hector Bostijn

Le document 16 daté du 25 juin 1913 répond à une demande de briques et expose qu'il n'est pas possible de commencer une campagne à cette date. La préparation des terres se fait en hiver et les campagnes débutent en avril. La seule manière d'obtenir des briques à ce moment est de s'adresser à une briqueterie mécanisée!


Document 16 : Lettre à M. Michelis

Organisation des déplacements et des conditions de séjours

Comme il n'y avait ni d'agence de voyage, ni de coordination concernant la distribution des billets entre les différentes compagnies de chemin de fer, il fallait commander les tickets de train par correspondance à chacune des sociétés ferroviaires des différents pays traversés. Les briquetiers voyageaient en groupes d'une dizaine de personnes qui emportaient  leur petit matériel et souvent de la nourriture "pour se sentir comme chez soi". C'est ainsi qu'un briquetier partait avec 15 kilos de sirop de Liège, produit introuvable en Italie ou en Espagne!

Le matériel spécifique étaient expédié par wagon de marchandise.

En 1913 pour le chantier de Castiglioncello (cf. document 17)

  • est parti en premier, en hiver, un surveillant pour préparer le chantier et les terres à briques avec de la main-œuvre locale,
  • sont ensuite partis 41 briquetiers flamands de la région située au sud de Gand et d'Alost et 1 responsable de chantier amaytois,
  • et peu après sont partis 14 enfourneurs (et cuiseurs) pour les équipes belges et finalement 3 enfourneurs supplémentaires pour compléter des équipes italiennes.

Le document 18 est une copie de la commande des billets aux Chemins de Fer Fédéraux pour une campagne de Castiglioncello.

La souvenance des malles postes est toujours à l'esprit, on dit encore prendre la malle et non le train qui comportait 3 classes.

 
Document 17 : Frais de déplacement voyages aller pour la campagne 1913 de Castiglioncello.


Document 18 : Commande des billets suisses pour une campagne de Castiglioncello.

Le document 19 fait apparaître la complexité d'un retour depuis Solvay Chimica à Barreda (en Cantabrie à 120 km à l'ouest de Bilbao).

En voici les détails:

  • départ Barreda 8h10 du matin, arrivée à Santander 9h;
  • départ Santander 10h, arrivée Bilbao 13h01; changement de gare;
  • départ de Bilbao à 4h40 après-midi, arrivée à San Sebastian 8h46; changement de gare;
  • départ de San Sebastian 9h40 du soir, arrivée à Irun (frontière franco-espagnole) à 11h38 du soir (actuellement le trajet dure 27 min soit 4 fois moins);
  • départ de Hendaye frontière à minuit 22, arrivée à Bordeaux à 5h07; (il fallait donc parcourir à pied le trajet entre les deux gares frontalières)
  • départ de Bordeaux 6h du matin, arrivée à Paris Montparnasse à 1h15 après-midi, changer de gare;
  • rt de Paris Nord vers Huy (à cette époque il n'était pas nécessaire de changer de train).

Les déplacements internationaux nécessitaient des laisser-passer établis pour un voyage déterminé. Le document 20 est le laisser passer de Bertha Delcominette épouse d'Arnold Thirion pour se rendre en Espagne via la France. Cette pièce administrative était visée non seulement au frontières mais aussi par les consuls sur les lieux de séjours.


Document 19 : Modalité d'un retour de Barréda


Document 20 recto : Laisser-passer de Bertha Delcominette épouse d'Arnold.


Document 20 verso : Visas sur laisser-passer de Bertha Delcominette.

Description des travaux

Une description précise d'une briqueterie artisanale est donnée dans la lettre adressée par Arnold Thirion à Monsieur Dupont, directeur de l'usine de la Société Solvay établie à Sùria en Catalogne, (document 21).

Tout comme à Castiglioncello, une rue de Sùria porte le nom d'Ernest Solvay et l'usine Solvay y est encore en activité



Document 21 : Lettre d'Arnold Thirion décrivant un chantier de fabrication de briques.

 

  • aire de 120 m x 70m pour le chantier,
  • 1 baraque en bois par brigade, 1 chambre de 5m x 5m pour loger chaque brigade de 9 personnes, (tout juste pour 9 paillasses de 1m x 2m) et 1 piècede 4m x 5m pour manger.
  • 1 baraque en bois pour 3 personnes, 1 pièce pour manger de 3,5m x 5m et une pour dormir de 4m x 5m, éventuellement cloisonable si une femme était présente, (pour les responsables)
  • protection des haies de briques crues contre l'humidification par les pluies,
  • soit 4 tonnes de paille de seigle supportées par 4 km de baguettes, 25 kg de fil de fer,
  • 1.000 m² de planches et des rayons pour les assembler,
  • 5 brouettes pour amener le sable et 5 brouettes spécifiques de briquetier (Brouette caractérisée par deux grandes planches quasi verticales au dessus de la roue. Elle permettait le transport de 250 kg de briques crues, cf. carte postale 3. La brouette ordinaire, en forme d'auge, servait au transport du mortier (terre préparée) sur les tables de moulage, cf. carte postale 1.) provenant de Belgique pour le roulage (des briques crues au four) , l'enfournement et le mortier (pâte de terre à placer dans les moules),
  • 10 m³ de sables (pour tapisser les moules et ainsi permettre de démouler aisément)
  • 12 seaux,
  • 180 m de madriers en hêtre pour le roulage ou des plats en fer (pour chemins de roulement sur la terre),
  • 20 tonnes de charbon maigre,
  • de la paille pour les hommes dormir, ou du crin végétal ou des herbes marines,
  • des couchettes ou simplement des planches et des clous pour que les hommes puissent en fabriquer,
  • quelques tables et bancs pour les hommes manger,
  • des tables pour mouler les briques et des bacs à sable,
  • prévoir une alimentation en eau,
  • 30 m³ de terre prête à être moulée.

La publication "Les briquetiers, des Amaytois méconnus" contient de nombreuses photos illustrant les campagnes. Tandis que les archives Thirion n'en comprennent aucune.

Une différence fondamentale entre les brigades décrites dans la publication citée, me paraît être que les brigades Thirion étaient constituées uniquement d'hommes (hormis la femme de ménage qui gérait l'intendance et qui était payée la moitié des hommes). Je me limiterai ici à reproduire trois cartes postales reprises du site Delcampe et qui me paraissent bien illustrer un chantier de briques. 


Carte postale n° 1 (del Campe) : Vue d'un chantier (semblable à un chantier Thirion). Au fond le four (la meule), la haie de briques en cours de séchage avec paillis la protection , la table de moulage avec la rampe d'amenée du mortier (pâte prêt à être moulée), la brigade, les moules portés par les dames.
Carte postale n° 2 (del Campe) : paroi d'un four, on aperçoit les couches de charbon entre certains lits de briques.


Carte postale n°3 (del Campe) : Four en cours de montage avec 2 brouettes spécifiques de briquetiers.

Gestion quotidienne des campagnes

Arnold Thirion choisit des brigadiers expérimentés qui lui écrivent très fréquemment pour le tenir au courant des chantiers et, en retour, il prodigue  ses  conseils. A noter qu'un aller-retour de courrier prend habituellement un peu  moins d'une semaine. Chaque fois, il répond en donnant une série de recommandations et parfois quelques semonces pour améliorer la qualité des briques ou éviter des incidents de chantier.

La lettre à Hubert Gueury (document 22) contient des recommandations précises concernant la répartition des briques dans le four et de même que celle du charbon dans la meule. Ce sont certainement les deux éléments principaux pour obtenir une chaleur uniforme et une cuisson homogène des briques. Importantes aussi sont la protection contre les intempéries (le vent peut refouler le feu et atténuer la cuisson coté  vent) et la bonne étanchéisation des parois par un enduit de boue pour confiner la chaleur.  L'évolution satisfaisante de la cuisson est détectée par la "bonne descente" des fours  ( la descente est due à la rétraction de la terre et à  la combustion du charbon).

Ces lettres contiennent des conseils en vue de corriger les dysfonctionnements décrits par les responsables du chantier mais également pour conduire le chantier de telle manière qu'il ne perturbe pas la campagne de l'année suivante.

Arnold Thirion ne pouvait pas savoir que 4 jours plus tard, l'Archiduc François -Ferdinand serait assassiné à Sarajevo et donc que les activités économiques allaient être chamboulées pendant 4 ans. 


Document 22 : Lettre d'instructions adressées à Hubert Gueury pour corriger les défauts lors d'une campagne.

 
Document 23 : Lettre d'instruction à Félix Poleur.


Document 24 : Lettre d'instructions à Félix Thirion.

Bilan d'une campagne

Le relevé 'fabrication de briques à Castiglioncello' (document 25) fait la synthèse de la campagne de 1913.

Pendant celle-ci furent fabriquées très précisément 12.709.822 briques.

Le prix de mille briques étaient de 12,50 francs (ce qui correspond à quelque 3,7 €cents 2014 la brique). Une brique industrielle coûte actuellement 20 à 30 fois plus chère.

1  franc 1913 ~3.2 € 2014

Une brigade (généralement 8 ou 9 hommes) était payée 5,40 fr les 1000 briques et devait faire au moins 1.500.000 briques par saison. Un four contenant quelque140.000 briques, une brigade devait donc en construire une dizaine de fours par saison pour gagner quelque 8.100 fr soit  environ 1.000 fr 1913/ouvrier en 6 mois. Ce qui correspond à quelque 3.200€ 2014/ouvrier en 6mois, soit 550 € 2014/mois.

Le document 26 établit l'état d'avancement de la campagne en date du 19 août 1913, à ce moment il reste encore 2.000.000 de briques en haie (en cours de séchage) à cuire avant la fin de la campagne.


Document 25 : Relevé des briques fabriquées en 1913 à Castiglioncello.


Document 26 : Etat d'avancement de la campagne en date du 19 août 1913.

La Saint-Pierre

Le labeur des briquetiers était harassant et monotone.

Leurs journées de travail débutaient à l'aube et ne finissaient qu'à la nuit tombante, sauf pour les cuiseurs qui devaient surveiller les fours continuellement. Ils dormaient sans grand confort sur la paille dans une promiscuité obligée (quelque 3m² dans un dortoir à 8 ou 9 personnes), éloignés de leur famille pendant 6 mois.

Parfois, pour d'autres maîtres briquetiers, les femmes et enfants comme le montre les cartes postales ci-avant .

Chacun attendait le 29 juin pour fêter "la Saint-Pierre", ce dernier, patron des pêcheurs et des maçons et par extension des briquetiers.

La Saint Pierre tombait effectivement le dimanche, c'est sans doute pour ne pas perdre un jour de congé que les festivités étaient prévues le lundi 30 juin 1913

Ce jour-là, le patron versait une prime variable suivant la qualité du travail. Dans le document 27, elle est versée à l'épouse du responsable, restée en Belgique.  

La Saint Pierre était souvent un jour de grande réjouissance où l'alcool coulait à flot, mais pas chaque année car les patrons exigeaient parfois que ce jour soit travaillé suivant les nécessités de la campagne et que le lendemain soit ouvré normalement. Les malheureux cuiseurs devaient eux évidemment continuer à contrôler la bonne marche des fours.

A l'époque, la Saint-Pierre (patron des briquetiers) était l'occasion d'une fête de trois jours copieusement arrosée. « Il fallait parfois chercher le père de famille et le ramener en brouette ! Nous buvions beaucoup mais nos conditions de travail l'exigeaient. Au four, nous étions à quelques mètres d'un brasier de 1 100 °C. Il fallait boire de 20 à 30 litres d'eau par jour. » La Parisien du 18 mai 2014; Chevilly ou l'âge d'or de la brique

Dans la lettre (document 22) du 26 juin d'Arnold Thirion à Hubert Gueury, après avoir rappelé ses recommandations pour obtenir de belle briques, écrivait :

"Pour les briquetiers qu'ils tâchent un peu de se rattraper s'il fait du beau temps et surtout qu'ils ne fassent pas la Saint-Pierre lundi prochain. Recommande leur qu'ils travaillent pour rattraper le temps perdu et qu'il faut absolument qu'ils fassent 1.400.000 briques (pour la saison) qui soient de la belle marchandise"

On pourrait aussi lire dans cette lettre que la femme qui prenait part à la campagne ne recevait que la moitié de la paie des hommes.

 
Document 27: Lettre du 28 juin 1913 adressée à l'épouse d'un chef de brigade, lui annonçant le versement de la prime de la Saint Pierre

Période de guerre

Dans sa lettre du 28 juillet 1914 adressée à Félix (Thirion), responsable de la campagne, et qui se trouve à Castiglioncello, Arnold Thirion écrit :( cf. document 28).

"Il faut espérer que nous n'aurons pas la guerre car ici à Amay nous serions très mal tandis qu'à Castiglioncello, vous êtes bien. Si cela arrivait, je quitterais  Amay mais pour moi je n'y crois pas.

D'après les journaux cela va d'ailleurs mieux.".

Le 31 juillet 1914, il écrit à nouveau à Félix: ( cf. document 29)

"Je regrette beaucoup de ne pas être avec toi à Castiglioncello car je serais beaucoup mieux qu'ici à Amay. Nous avons ce soir de très mauvaises nouvelles; on attend la guerre d'une heure à l'autre. J'ai peur que Poleur ne soit rappelé d'Espagne car alors plus personne pour cuire. J'ai fait appeler Georges pour le remplacer si c'était nécessaire. Enfin, c'est malheureux mais si cela continue je vais faire partir ma femme et mes enfants en lieu sûr, ne parle de tout ceci à personne car les hommes (c'est -à-dire les briquetiers) auraient trop peur. Si on leur écrit de chez eux, dis-leur qu'ils sont mieux là qu'ailleurs ce qui est vrai car il sont en sûreté en Italie. Je t'écris car il se peut que nous ne puissions plus nous écrire, enfin arrange le tout pour un mieux. Si le guerre vient cela sera vite fini un mois ou six semaines. Enfin, tu es heureux et tranquille. Si on rappelait certains de nos hommes qu'ils se présentent au consul de Belgique à Livourne ..."

Le même jour, il écrit à Félix Poleur qui se trouve à Torrelavega (En Cantabrie à 120 km à l'W de Bilbao) : (cf. document 30)

"Comme vous le savez probablement on a la guerre entre la Serbie et l'Autriche. Si on rappelait des hommes et qu'ils devraient rentrer, si vous n'avez pas d'argent pour leur donner qu'il s'adresse au consulat de Belgique à Santander car ce serait alors la Belgique qui paierait leurs coupons. Si vous ne devez pas revenir vous-même, continuez à enfourner avec des Espagnols et arrangez le tout pour un mieux et comptez les fours cuits avec Hulin.

Si cela devient plus sérieux, ceux qui n'ont pas besoin de revenir en Belgique qu'ils restent bien en Espagne car ils sont beaucoup mieux là qu'ici et beaucoup plus sûrs.

Enfin, arrangez le tout pour un mieux mais bien entendu que ceux qui ne sont pas obligés de revenir absolument qu'ils restent pour finir la campagne car encore une fois ils sont beaucoup mieux là bas qu'ici."

Document 28 :                                                                        Document 29 :
Il faut espérer que nous n'aurons pas la guerre              On attend la guerre

 
Document 30 : On a la guerre

Le 15 avril 1915, Arnold Thirion reçoit une lettre de son responsable de campagne basé à Castiglioncello, datée de novembre 1914 (donc écrite 5 mois plus tôt) lui annonçant avoir vendu son matériel, sans son accord, à la firme Solvay et ce à bas prix.

Arnold Thirion répond notamment:

"Mon cher Félix,
J'espère que tu es toujours en bonne santé, nous aussi nous espérions de jour en jour voir arriver Félix, mais rien. Il se trouve sans doute bien en Italie.

Si tu ne reviens pas, envoie-moi le compte de l'argent reçu et le nombre de briques de Jérôme, de Hermann Dumont, ....
Au départ, au mois d'août, ils sont allés changer leurs lires pour avoir de l'or à Livourne, grande bêtise qui a coûté environ 2.800 frs.
Dis-moi aussi le nombre total de briques belges et italiennes enfournées ....
Si les hommes se décident à revenir, encore une fois, c'est très facile en allant au consulats de Belgique et d'Allemagne à Livourne pour se faire faire des pièces en ordre et pour revenir on peut le faire très facilement en chemin de fer jusque Amay ....
Maintenant, celui qui veut rester je n'ai rien à voir la dedans chacun sait ce qu'il a à faire car il est impossible de prévoir la fin." (cf. document 31).

Le même jour, il écrit au directeur de Solvay à Castiglioncello pour qu'il range son matériel, car il pense qu'il est très probable que l'on refasse bientôt des briques. Il croyait vraiment que la guerre ne s'éterniserait pas (cf. document 32).

En août 1915,  Arnold Thirion demande à Solvay de lui verser les soldes pour les campagnes de Rosignano (= Castiglioncello) en Italie et de Torrelavega en Espagne.

Il s'agit du dernier document qui se trouve dans les archives, sans doute n'y eut-il plus aucune affaire avant la fin de la guerre (cf. document 33).

Le document 34 est donné à titre purement informatif, il s'agit de la liste des objets, principalement des armes de chasse ou de collection, saisis par les troupes allemandes chez Arnold Thirion au début du conflit.

    
Document 31 : Chacun sait ce qu'il a à faire.

  
Document 32 : Sauvegarde du matériel en prévision de l'après-guerre.

Document 33 :  Demande du solde dû.                                  Document 34 :Objets enlevés par les troupes allemandes en 1914.

Redémarrage après guerre

Dès la fin de la guerre, les affaires reprennent avec soulagement. Les contacts sont réactivés comme l'atteste le document 35 adressé à Solvay Castiglioncello.


Document 35 : Reprise des affaires en 1918.

Et actuellement

Ailleurs

La cuisson en meule est encore actuellement pratiquée dans les pays pauvres.

Certes, des différences existent dans les procédés, mais les techniques sont très semblables. Les différences sont notamment dues aux climats et aux combustibles utilisés. Je crois cependant que les photos 1 à 13, prises en 2012 à Madagascar, permettent de bien se rendre compte de ce qu'était un chantier à briques cuites en meules ... il y a plus d'un siècle en Europe.

Sous les tropiques, en saison sèche, les briques fraichement moulées se déshydratent rapidement et acquièrent une meilleure résistance qu'en Europe. Pour les constructions basses elles sont d'ailleurs assez souvent utilisées crues, dénommées adobes.

L'origine d'adobe est arabe. En Afrique du Nord, l'adobe reste un matériau d'actualité. Pour augmenter sa résistance, de la paille est y incorporée.

Les photos 14 à 18 montrent que, notamment en Afrique, les adobes sont encore utilisés. Les murs en adobes se dégradent assez rapidement sous les agressions atmosphériques, ils doivent être régulièrement réhabilités par un enduit de potopoto.

"Poto-poto": En Afrique noire, boue séchée servant à construire des murs (Larousse); boue, terrain bourbeux (Reverso).

En saison des pluies tropicales la fabrication devient impossible.

Le combustible utilisé en Europe était généralement du charbon réparti entre certains lits de briques, ce qui provoquait une combustion dans l'ensemble du volume. Cependant cela ne suffisait pas pour obtenir une température uniforme. En certains endroits, les briques pouvaient être trop cuites, voire même vitrifiées (appelées "goumailles") et en d'autres, trop peu cuites (dénommées "blèques)".

Les essais de cuisson avec du lignite, fait par Arnold Thirion, n'ont pas été satisfaisants. Le lignite est un combustible en cours de fossilisation, entre tourbe et charbon.

L'utilisation du bois ne permet pas de répartir le combustible dans la masse. Le bois brûle dans des foyers en base et c'est le gaz de combustion qui seul chauffe l'ensemble.. Mais dans les pays tropicaux, les briques crues étant plus sèches lors de l'enfournement, la cuisson est moins énergivore. De plus, le mortier hydraulique, à base de ciment ou de chaux, trop cher est souvent remplacé par du "poto-poto", ce qui est particulièrement bien adapté pour les maçonneries en adobes.

Un bel exemple du procédé ancestral est illustré par la série de photos prises à Madagascar en septembre 2012.


1: Vue générale de la briqueterie malgache. Au fond,  le four en cours de construction; à l'avant, trois chantiers de préparation des briques.

 
2 : Extraction de limon et préparation du mortier                          3 :  Vue générale. Séchage des briques
par mélange à de l'eau.                                                                        moulées, sur le sol et ensuite en haies.

      
4 : A l'avant plan : un atelier de moulage de briques.               5 : Cadre du moule.


6 : Fond du moule après retrait du cadre.

 

7 : Portage des briques crues jusqu'au four: 13 briques d'environ 4 kg (donc 50 kg en équilibre sur le crâne), briques chargées une à une par le porteur (souvent la porteuse). Les rouleurs en Europe chargeaient 250 kg sur brouettes à briques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 
8 : Four (meule) en construction.                                                 9 : Les briques sont déposées non jointives pour
A la base, les 4 foyers à bois.                                                        permettre à l'air chauffé et aux fumées de lécher
                                                                                                           chaque brique.

 
10 : Autre vue de la disposition des briques.                       11 : Vue du foyer dans lequel sont enfournés les bois.


12 : Déchargement du four en fin de cuisson.

 

13 : Détail de la paroi étanchéifiée par un enduit argileux (poto-poto), en vue de diriger les gaz de combustion vers les évents de la face supérieure et d'empêcher les vents de perturber la bonne répartition de la chaleur dans la meule.

 

 

 

 

 

Souvent les briques sont fabriquées dans le jardin de la maison que l'on souhaite se construire. On se contente souvent alors d'adobes.

  
14 : Remplissage d'un moule à deux brique.                      15 : Fondations en "poto-poto" de la maison,support
                                                                                                    des murs en adobes.

 

Pour des maisons de meilleures qualité, les briques sont confectionnées avec plus de soin.

 
16 : Fosse d'extraction.                                                                   17 :  Moulage sur place.


18 : Démoulage sur l'aire de séchage.
                                    

 

19 : Mise en œuvre des briques sur le site de fabrication, pose des briques au poto-poto, appareillage en croix (Typique des murs d'une brique et demie), parement extérieur en briques cuites et intérieur en adobes.

 

 

 

 


20 : Evolution de la technique des meules en lui adjoignant des cheminées.
Nicaragua 2011


21 : Le même four fermé.

 
22 : Vietnam 2010 : Grande briqueterie sur les rives du Mékong.         23 : Fours ovoïdes à charbon gras.


24 : Détail d'un four de briquetiers et de potiers.

 
25 : Four ovoïde à plusieurs cheminées pour obtenir         26 : Combustible asiatique alternatif : les balles de riz
une bonne répartition de la chaleur.

Chez nous

La mécanisation a commencé par l'opération de moulage des briques. Dans un courrier d'avant la guerre de 1914-1918 Arnold Thirion se montrait réticent à utiliser les premières presses comme le lui suggérait un client. Il gardait pleine confiance dans la qualité des briques moulées manuellement par ses brigades.

La préparation de la terre qui, au début, était réalisée par piétinement par des humains, par des équidés ou des bovins s'est progressivement mécanisée par l'emploi de broyeurs et de mélangeurs.

Un autre client lui proposait de remplacer la charbon par du lignite, Arnold Thirion  après avoir réalisé un essai de cuisson non concluant n'a pas voulu utiliser ce combustible meilleur marché.

Le lignite (braun kohl) est un charbon non complètement maturé, son pouvoir calorifique est moindre et la pollution est grande lors de la combustion. Il est largement exploité à ciel ouvert de part et d'autre de l'autoroute de Cologne à Weissweiler pour alimenter les centrales électriques construites sur le gisement.

Des briqueteries industrielles fixes, d'abord artisanales et ensuite mécanisées ont été construites. Les briquetiers se sont sédentarisés. La raison principale est le perfectionnement des nouvelles énergies qui a permis le développement des moyens de transport et de mécanisation des procédés.  

Les briques n'ont plus été cuites en meules mais dans des fours fermés  dans lesquels elles sont entassées. La conduite de la cuisson est nettement facilitée.

Ces fours sont aussi adaptés à la cuisson des tuiles et des pots.

Les photos 20 à 25 donnent une idée de l'évolution des fours.

Actuellement les processus sont complètement automatisés:

Texte basé sur les documents publiés sur la toile de la seule briqueterie wallonne établie à Ploegsteert (Comines-Warneton)
  • la terre est prélevée à l'aide d'une excavatrice à godets,
  • elle est broyée et malaxée,
  • elle est entreposée pendant 3 semaines pour maturation,
  • sa teneur en eau est adaptée, des adjuvants sont parfois incorporés,
  • le matériau est malaxé pour obtenir une pâte homogène, puis laminé,
  • il est ensuite extrudé pour former un long boudin qui est parfois perforé par des peignes,
  • le boudin est sectionné par un fil à la longueur de la brique,
  • les briques crues passent dans un tunnel parcouru par l'air chaud récupéré du four et y restent pendant plusieurs jours,
  • à la sortie du séchoir, elles sont elles sont empilées sur les chariots de cuisson,
  • ces chariots progressent dans un four de cuisson d'environ 200 m de longueur,
    • les briques sont graduellement chauffées jusqu'à 750°C,
    • puis elles sont cuites à une température de 1040 °C,
    • finalement, elles sont amenées dans une zone de refroidissement
    • le cycle de cuisson dure de 1,5 à 3 jours
  • après contrôle visuel les briques sont empilées sur palettes pour expédition.

 
27 et 28 : Hall de la briqueterie de Ploegstreet.

 

Annexe

(i) Généalogie des  Thirion sur base des recherches effectuées par Maggy Moreau

1. Jean Théodore THIRION ( °?, + ?);  x (?) inconnue (?,+?).

De cette union nait Jean THIRION en ?

2. Jean THIRION (°, + <1729 à Ampsin); x (28 janvier 1689 à Hermalle-sous-Huy) Damitte Marguerite HANOUL   (°1695 ou 1696, +10 mars 1740) fille de parents non connus.

Ce couple aura 7 enfants:

1. Jeanne (°  1689, +?),

2. Jeanne (°  1694, +?),

3. Noel (° 1696, + ?),

4. Elisabeth (° 1700, +?),

5. Martin (° 1701, +?),

6. Fréderic (° 1703, +?),

7. Nicolas (° 1706, + ?).

3. Noel THIRION (°1696, +?); x (9 septembre 1721 à Ampsin) Marguerite COLIN, fille de Paul COLIN et de Marie MOREAU

Ce couple aura 9 enfants

1. Jean (° 1723, +1774),

2. Paul (°  1726, ?),

3. Marie Marguerite (° 1727, ?),

4. Marguerite Dorothée (° 1729, +1781),

5. Marie Ode (° 1732, ?),

6. Noel Gaspard Melchior Balthazar (°1734, +?),

7. Arnold Joseph (° 1736; +?),

8. Marguerite (° 1738; +?),

9. Marie Catherine (° 1741, +?).

4. Noel Gaspard Melchior Balthazar THIRION (baptisé le 6 janvier 1734 à Amay, +?), x (13 juillet 1766 à Amay) Marie Ode KINET, fille de Herman KINET et de Marie Jeanne FERIER.

Ce couple aura 8 enfants

1. Marie Jeanne (° 1767, +?),

2. Marie Elisabeth (°  1768, +?),

3. Noel Gaspard (° 1770, + 1840)

4. Marie Ode (° 1772, +?),

5. Béatrice Joseph (°  1774, +?),

6. Nicolas Joseoph (°  1777, +?),

7. Pierre François (°  1779, +?),

8. Marie Ode Joseph (°  1782, +?).

5. Noel Gaspard THIRION, Vigneron (baptisé le 20 mai  1770 à Amay, + 17 décembre 1840 à Amay) x (30 juillet 1809 à Amay) Marie Joseph DUMONT (° ? , + 3 décembre 1844), fille de Pierre Joseph DUMONT et de Marie Jeanne FAGOT.

Ce couple aura 7 enfants

1. Joseph Noel  (° 25 septembre 1809, + 2. Pierre Joseph  (°  19 décembre 1810, + ?),

3. Marie Joseph  (°  1813, + 1819?)

4. Arnold Joseph (° 1814, + 1893)

5. Elisabeth (° 1817, + ?)

6.  Marie Ode (°  ?, + 1819?)

7. Clémentine (°  1820, + 1826)

6. Arnold Joseph THIRION, Vigneron (baptisé le 14 décembre 1814, à l'âge de moins d'un an, à Amay, + le 19 mai 1893) x (29 mars 1843 à Amay) Anne Marie BADET (° 1822, + 11 mai 1852), fille de Jean François BADET et de Marie Jeanne BOURGUIGNON.

Ce couple aura 5 enfants

1. Marie Joséphine (° 12 octobre 1843, + 3 décembre 1844), 

2. Eleonor Victoire (° 19 novembre 1844, + 21 avril 1871),

3. Marie Clémentine (°  28 juin 1846,+ 27 décembre 1866),

4. Lambert Augustin (° 28 août 1848, + 3 août 1901),

5. Guillaume joseph  (° 14 juillet 1850, + 17 janvier 1851).

7. Lambert Augustin THIRION (°  28 août 1848 à Amay, + 3 août 1901) x ( ? ) Anne Marie Thérèse KOENIGSTEIN (° 1858, + 22 février 1935) fille de Henri Hubert Joseph KOENIGSTEIN et de Jeanne Marie LEISLEW.

Ce couple aura un enfant

Arnold Hubert Adolphe (° 2 septembre 1879, + 1937)

8. Arnold Hubert Adolphe THIRION (° 2 septembre 1879, + 1937) x ( 9 janvier 1902 ) Bertha Marie Louise DELCOMMINETTE (° 1880, + 1944), fille de Jean Lambert DELCOMINETTE  et d'Anne Marie MARCHANT.

Ce couple aura 3 enfants

1. Thérèse Joséphine Lambertine Suzanne (° 15 février 1904, + ?),

2.Marcelle Jeanne Lambertine (° 5 janvier 1907, + ?),

3. Lambert Arnold Joseph Fernand (° 25 août 1910 à Amay, +  ?)

9. Lambert Arnold Joseph Fernand THIRION (° 25 août 1910 à Amay, +?) x (?) Andrée Louise Elise LEDOUX, fille de ?

Ce couple aura 3 enfants

1. Colette Marie Marcelle Paule (° 2 octobre 1937, + -),

2. André Arnold Marcel Joseph  (° 26 octobre 1939, + -),

3. Michel Georges André Joseph  (°15 juillet 1942, + 22 septembre 2008)